L’Est du Congo en Flammes : Un Chaos Inextricable, Un État Déliquescent
Il y a des guerres qui font du bruit et attirent l’attention du monde entier. Et puis, il y a celles qui, bien que tout...

Il y a des guerres qui font du bruit et attirent l’attention du monde entier. Et puis, il y a celles qui, bien que tout aussi sanglantes, se déroulent dans un silence assourdissant. La guerre en Ukraine, par exemple, est omniprésente dans les médias occidentaux. En revanche, celle qui ravage l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) depuis près de trois décennies demeure une tragédie ignorée, une tragédie sans spectateurs. Pourtant, ce qui se joue aujourd’hui dans cette région est un drame d’une ampleur inédite, dont les conséquences pourraient embraser toute l’Afrique centrale et au-delà.
L’Est du Congo, déjà théâtre d’innombrables guerres par procuration et conflits ethniques, est aujourd’hui le champ de bataille d’une guerre hybride, où se mêlent ambitions géopolitiques, rivalités ethniques historiques et prédation des ressources naturelles. La RDC, cet immense pays de la taille de l’Europe de l’Ouest, est en train de basculer dans une phase encore plus sombre de son histoire récente : une guerre où l’ennemi n’est plus identifiable, où l’État central a perdu tout contrôle et où les alliances se forment et se défont au gré des intérêts.
Des Réfugiés Qui Deviennent des Rebelles : Une Stratégie de Kagame#
L’un des aspects les plus troublants de cette crise est la manière dont Paul Kagame, le président rwandais, a su manipuler les dynamiques ethniques pour servir ses propres intérêts. Pendant des années, des milliers de réfugiés burundais tutsi vivaient au Rwanda. Mais aujourd’hui, Kagame les présente comme des « réfugiés congolais ». Pourquoi ce changement de narratif ? La réponse est simple : ces réfugiés sont désormais recrutés pour gonfler les rangs du M23, un groupe rebelle tutsi lourdement armé qui sème la terreur à l’est de la RDC.
En d’autres termes, Kigali fabrique des Congolais de circonstance afin de justifier une mainmise sur une partie du territoire congolais. Le cynisme est d’autant plus glaçant que ces combattants sont envoyés se battre contre d’autres Burundais – cette fois des Hutu – dans des affrontements particulièrement meurtriers. L’un des foyers de cette guerre se trouve à Kaziba, où les combats opposent directement les Tutsi recrutés dans les camps de réfugiés rwandais et l’armée burundaise, qui soutient les FARDC (Forces Armées de la RDC) et les milices Wazalendo.
Ce n’est plus une simple rébellion. C’est une guerre transfrontalière qui ne dit pas son nom. Une guerre où il est devenu presque impossible de distinguer qui est Congolais et qui ne l’est pas, d’autant plus que la RDC ne dispose même pas de cartes d’identité nationales. Un vide administratif qui joue en faveur des infiltrations rwandaises et burundaises, rendant encore plus difficile la reprise en main du pays par Kinshasa.
L’Est du Congo, Nouveau Bastion pour une Invasion du Burundi ?#
Ce qui se passe à Minembwe est un autre tournant dangereux. Les mêmes Tutsi « congolais » qui combattent sous la bannière du M23 ont noué une alliance avec d’autres groupes armés tutsi de la région, notamment Twiraneho/Red Tabara, une faction rebelle qui menace directement le Burundi. En d’autres termes, l’Est du Congo est en passe de devenir une base arrière pour une future invasion du Burundi.
Si ce scénario se concrétise, alors le conflit congolais ne sera plus seulement un problème pour Kinshasa. Il embrasera toute la région des Grands Lacs. Un nouvel équilibre des forces est en train de se dessiner, et Kagame semble vouloir en être l’architecte, utilisant l’anarchie congolaise comme un levier stratégique.
Un État Défaillant, un Futur Incertain#
Il faut se rendre à l’évidence : la guerre ne fait que commencer. Kinshasa a perdu le contrôle d’immenses portions de son territoire, et même dans le meilleur des scénarios, il faudra plusieurs décennies pour les reconquérir.
Mais un autre problème majeur se pose : les armes circulent désormais sans aucun contrôle. Les Wazalendo, ces groupes d’autodéfense qui combattent aux côtés de l’armée congolaise, sont aujourd’hui acclamés comme des héros. Mais demain ? Que deviendront-ils une fois la guerre terminée ?
L’histoire récente de la RDC montre que désarmer ces milices est pratiquement impossible. L’État central étant incapable d’assurer la sécurité, ces groupes armés finiront par se transformer en seigneurs de guerre, chacun régnant sur son propre territoire, établissant sa propre loi. Résultat ? L’Est du Congo risque de se balkaniser en une mosaïque de fiefs armés, hors de tout contrôle étatique.
Pendant ce temps, la MONUSCO, la mission onusienne qui a échoué à ramener la paix après plus de 20 ans de présence, a quitté le Sud-Kivu. Plus grave encore, les forces de la SADC (Communauté de Développement d’Afrique Australe), qui avaient été envoyées en renfort, se retirent progressivement, ne voulant pas s’enliser dans une guerre sans fin. Plus personne ne veut envoyer de soldats dans ce bourbier.
Kinshasa Peut-elle Encore Gouverner son Propre Pays ?#
Une question cruciale demeure : Si les chefs de guerre finissent par contrôler des territoires entiers, accepteront-ils encore que Kinshasa vienne exploiter les ressources minières de ces régions ?
Soyons réalistes : les élites congolaises ont dilapidé la confiance de la population. Les communautés locales savent pertinemment que lorsque l’argent du cuivre, du coltan et du cobalt arrive à Kinshasa, il ne revient jamais en investissements pour les populations locales.
Dans ces conditions, il n’est pas exclu que des régions entières se rebellent non seulement contre l’occupation étrangère, mais aussi contre l’État congolais lui-même. L’émergence d’un « Congo parallèle », dirigé par des chefs militaires et économiques locaux, est une hypothèse de plus en plus plausible.
Peut-être que la seule chose qui fera bouger les politiciens de Kinshasa, ce sera lorsqu’ils se rendront compte qu’ils ne peuvent plus détourner l’argent du pays à cause du chaos qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer. Ce jour-là, peut-être, auront-ils enfin un intérêt à rechercher une solution durable à cette crise.
Mais en attendant, l’Est du Congo brûle, et personne ne semble capable d’éteindre l’incendie.